Il y avait une fois un paon qui était si fier de sa queue magnifique qu’il passait toute la journée à faire la roue, ses plumes largement déployées, et à crier pour attirer l’attention. Quand le paysan l’appelait : Piwi ! Piwi ! il regardait au loin et faisait mine de ne pas entendre.
Tu te prives de beaucoup de bonnes choses, lui disait la poule. Quand le fermier crie : Piwi ! ou Tschick, Tschick ! c’est qu’il lance le grain qui nous est destiné.
Je ne m’appelle pas Piwi, répondit orgueilleusement le paon en faisant la roue et le cou allongé, en criant d’une voix aigre : Mon nom est «Sa-queue-est-magnifique-comme-le-soleil-quand-il-brille-sur-les-montagnes-dans-les-brouillards-du-matin.»
Est-ce- compris ? Désormais ne m’appelle plus autrement, sans quoi je t’arracherai les yeux.
Je ne t’appellerai jamais autrement, promis la poule, qui redoutait le bec acéré de l’autre, jamais, jamais.
Au même instant un renard sortit du bois; il sauta sur le paon et voulait l’emporter.
Au secours ! Au secours, criait le paon. Cours vite chercher le chat et dis- lui qu’il vienne me délivrer du renard.
La poule courut chercher le chat et s’écria : « Sa-queue-est-magnifique-comme-le-soleil-quand-il-brille-sur-les-montagnes-dans-les-brouillards-du-matin» vient d’être enlevé par le renard, cours vite, cours vite !
Qui le renard emporte-t-il ? demanda le chat. Qui diable ce peut-être : «Sa-queue-est-magnifique-comme-le-soleil-quand-il-brille-sur-les-montagnes-dans-les-brouillards-du-matin» ?
C’est le paon, dit la poule, c’est son nouveau nom et il ne veut pas que tu lui en donnes d’autres. Mais cours donc, cours bien vite !
Comme c’est bête, dit le chat en se levant. Je suis bien trop petit pour attraper un renard. Je vais aller chercher un chien.
Mais n’oublie pas qu’il faut appeler le paon par son nouveau nom, caqueta la poule. Si tu ne le fais pas il t’arrachera les yeux.
Il n’y a pas de danger, répliqua le chat en allant chercher un chien.
Le chien dormait au soleil ; quand il entendit venir le chat il sursauta et les poils de son cou se hérissèrent.
Calme-toi, dit le chat, ce n’est pas le moment de me donner la chasse. «Sa-queue-est-magnifique-comme-le-soleil-quand-il-brille-sur-les-montagnes-dans-les-brouillards-du-matin» a été enlevé par le renard.
Qui donc est «Sa-queue-est-magnifique-comme-le-soleil-quand-il-brille-sur-les-montagnes-dans-les-brouillards-du-matin» ? lui demanda le chien. Je n’ai jamais entendu un nom pareil.
C’est le nouveau nom que s’est donné le paon, répondit le chat. Si tu l’appelles autrement il t’arrachera les yeux.
Eh bien, dit le chien, je n’ai pas envie de me faire arracher les yeux ni de perdre mon temps à sauver un oiseau qui a un nom aussi long. Je vais aller chercher le fermier.
Le chien courut vers le paysan occupé à la fenaison.
Maître, maître ! aboya le chien, «Sa-queue-est-magnifique-comme-le-soleil-quand-il-brille-sur-les-montagnes-dans-les-brouillards-du-matin» vient d’être emporté par le renard !
Qu’il a-t-il, demanda le fermier qui avait l’oreille dure. Qui est-ce qui a été emporté par le renard ?
« Sa-queue-est-magnifique-comme-le-soleil-quand-il-brille-sur-les-montagnes-dans-les-brouillards-du-matin», répéta le chien.
Ah ! dit le paysan en secouant la tête. Je croyais que tu parlais de toute une famille. Mais qui donc est-ce : «Sa-queue-est-magnifique-comme-le-soleil-quand-il-brille-sur-les-montagnes-dans-les-brouillards-du-matin» ?
C’est le paon, répondit le chien. C’est le nouveau nom qu’il s’est donné lui-même. Ne lui en donne pas d’autre surtout, sans quoi il t’arrachera les yeux.
Je lui tordrai le cou, cria le fermier, en courant pour délivrer le paon.
Lorsque le paysan eut atteint le terrier du renard, celui-ci avait déjà mangé le paon avec toutes ses plumes.
Quand la poule apprit la nouvelle, elle songea :
S’il s’était contenté de son nom de Piwi, il pourrait encore faire la roue dans la cour. Si vous aviez un jour à me délivrer du renard appelez-moi simplement Tschick.
Et moi, appelez-moi Puss, ronronna le chat en repliant ses pattes pour faire un petit somme.
Appelez-moi Fleck, dit le chien en allant voir si son repas était prêt.
Ce conte américain nous apprend ce qui arrive au paon qui avait décidé de changer de nom. Et c’est en même temps pour nous une leçon d’humilité.