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Le bain  Format imprimable (pour imprimer le conte)
Monsieur et madame Glu passaient pour des gens tout à fait normaux à qui rien d’extraordinaire n’était jamais arrivé, et n’arriverait sans doute jamais. Leur vie était urbaine et monotone, leurs comportements sans surprise, et leurs aspects physiques absolument passe-partout. Ils n’étaient ni trop heureux pour être jalousés, ni trop malheureux pour être pris en pitié. Il n’y aurait probablement jamais rien eu à raconter à leur propos si un soir une chose des plus curieuses n’était venue bouleverser leurs existences jusque là à bien d’autres pareilles. Ce jour-là ils avaient prévu de sortir pour aller rendre visite à l’un de leurs vieux cousins désoeuvré qui vivait à l’autre bout de la ville et s’ennuyait à périr dans son éternelle solitude. Comme ils avaient bon coeur et un peu de temps à perdre, ils n’hésitaient jamais à passer quelques heures avec le pauvre homme autour d’une grosse théière de verveine et quelques gâteaux de riz d’avant-guerre. L’ennui les gagnait parfois lorsqu’ils lui tenaient compagnie car il avait une conversation assez pauvre et s’endormait souvent au milieu d’une phrase, mais en souvenir de sa vieille tante qui avait toujours été très charitable à son égard, madame Glu se devait d’aider son malheureux cousin qui malgré son air un peu bourru et ses habitudes de fonctionnaire à la retraite, était tout de même un brave garçon. Il était presque six heures, et monsieur Glu, qui ne s’était pas lavé comme il faut depuis une bonne dizaine de jours désirait encore prendre un bain complet avant de partir, car il avait des notions de bienséance et se savait crasseux et très puant. Madame Glu, qui était une personne prévoyante et aimait respecter les horaires établis, s’inquiétait un peu de ce soudain besoin de proprété. Elle craignait en effet d’être en retard, et demanda donc à son mari de ne pas faire preuve de trop de zèle au cours de ses ablutions pour ne pas avoir à faire attendre son cousin qui espérait les voir arriver vers six heures et demi. Monsieur Glu lui dit avec son calme habituel qu’elle n’avait aucune raison de s’inquiéter, et lui promit d’ailleurs qu’il n’en aurait pas pour plus de cinq ou dix minutes. Or, trois quart d’heure plus tard il n’était toujours pas sorti de la salle de bain. Dans la mesure où elle n’aimait pas l’à peu près, ce manque de ponctualité ne manqua pas de mettre madame Glu d’assez méchante humeur. Elle était sur le point de s’énerver, et bientôt elle trouva fort étrange que son mari tarde tant à la rejoindre. Il ne l’avait jamais habitué à faire durer sa toilette si longtemps. Bien décidée à lui remonter les bretelles, elle fronça les sourcils de mécontentement, et alla voir pourquoi il s’obstinait à barboter alors qu’ils auraient déjà dû être en route depuis bien longtemps. -Tu te fous de moi Hector ? dit-elle d’une voix plutôt rude en pénétrant dans la salle de bain sans crier gare, tu tiens vraiment à faire attendre mon pauvre cousin ou quoi ? Mais à sa grande surprise son mari ne lui répondit pas. Il n’était de toute évidence pas dans la salle de bain, et cela créa chez elle un grand trouble. Elle eut beau fouiller partout, elle ne trouva trace de monsieur Glu. Il n’y avait plus que ses vêtements qui semblaient l’attendre au pied de la baignoire remplie d’eau chaude et de mousse odorante. Elle était totalement déconfite par cette disparition que rien n’aurait pu laisser prévoir ni même imaginer. Elle criait : « Chéri, où es-tu encore passé ? Ce n’est pas drôle, je n’ai pas envie de m’amuser à jouer à cache-cache ». La fenêtre était fermée de l’intérieur, et le mystère régnait dans tout l’appartement. Elle s’apprêtait à appeler au secours les forces de police, quand elle remarqua tout à coup que les lunettes de son mari se trouvaient bizarrement au fond de la baignoire entre un morceau de savon et quelques canards en plastique. On apprit plus tard que monsieur Glu s’était dissout dans l’eau de son bain, et qu’il avait fini dans les égouts de la ville lorsqu’on avait ouvert la bonde.
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