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Cette pluie fine et grasse qui n’en finit pas de tomber m’est de plus en plus insupportable. L’eau glacée ruisselle sur mon dos et dégouline jusqu’à mes pieds pour former une flaque brunâtre. Plus une seule partie de mon corps n’est au sec. Bientôt mes vêtements ne seront plus que des loques. Déjà ma veste est déchirée, tout cela répand une forte odeur de moisi, et les coutures de mon pantalon sont sur le point de craquer. Je sens mes chaussures s’alourdir en se gorgeant d’eau. Elles ne tiendront plus longtemps à mes pieds ; je n’ai plus de lacets. Depuis quelques jours j’ai beaucoup maigri, mais je n’ai pas faim.
Le ciel est très sombre. Les nuages passent au-dessus de moi à une vitesse fabuleuse. La lumière de la lune les fait ressembler à de grosses nappes d’encre de Chine que l’on aurait versées dans un aquarium. Leurs formes sont effrayantes, ils changent continuellement d’aspects ; ils gonflent, s’étirent, se rétractent, se mangent les uns les autres. Le vent les emmène vers le nord, ils quittent les montagnes, bientôt ils auront entièrement envahi la vallée. Des grondements de tonnerre se font entendre du côté de la frontière. L’orage approche, mais dans l’état où je suis, ce n’est pas la chose que je redoute le plus. Durant un instant un éclair illumine ma ville natale; je l’entrevois dans le lointain. Des fumées lourdes et opaques s’élèvent des maisons du quartier où j’ai longtemps vécu. Je me dis qu’il doit y faire chaud et sec, mais même si je le pouvais, je crois que je n’accepterais jamais d’y remettre les pieds.
Je vois les tuiles qui brillent et les volets qui se ferment. Toutes ces paisibles maisons de pierre sont bien alignées sur les flancs des collines, rien ne les dérange. Plus près de moi, j’aperçois le clocher de l’église, et la tour de l’hôtel de ville. À cette heure-ci notre cher et vénérable bourgmestre doit, comme à l’habitude, cuver son vin au fond de sa cave, ou tenter d’engrosser péniblement son énorme bonne femme. Chacun sait que pour lui, l’accomplissement du devoir conjugal n’est pas tous les jours facile.
Du côté du vieux hameau l’ambiance semble être moins paisible. Le vent apporte jusqu’à moi des bruits de fête, des sortes de cris, sans doute des cris de joie. Je perçois des bribes de phrases ordurières, et il me semble entendre une fanfare jouer un air familier, mais dont je n’arrive plus à me souvenir du nom. J’ai l’impression que cela vient des environs de l’auberge de mon beau-frère. En tout cas, toutes les lumières sont allumées. Une partie du bâtiment est masqué par un gros buisson d’épines, mais je devine l’entrée de la grande salle. Ce devait être là-bas que se rendaient les musiciens que j’ai vu passer en fin d’après-midi. Ils n’avaient déjà pas l’air très frais, maintenant ils ne doivent plus être loin de rouler sous la table. Il faut dire que supporter l’alcool de rhubarbe de ma soeur, ce n’est pas donné à n’importe qui. Une chose est sûre, ce genre de petite fête, ça finit toujours mal. Dans ma famille, il ne faut pas espérer autre chose, une réunion familiale sans règlements de comptes et vilains coups de couteaux, on n’a plus vu ça depuis bien longtemps. Enfin, si cela les amuse… De toute façon ça ne me regarde plus.
Je les imagine en train de bâfrer comme des phacochères les mains dans les plats d’andouillettes ou sur les culs des femmes. Pour eux, manger, c’est se faire péter la panse. Ils profitent, faut bien que ça serve à quelque chose d’être à peu près les seuls à encore pouvoir se payer du cochon. M’est avis que ce n’est pas l’honnêteté qui les étouffera.
Moi aussi ce soir j’aurais pu m’en foutre plein la gueule. Si j’avais été plus raisonnable je serais assis en face d’une grosse casserole de tripes, et je boufferais comme les autres au lieu de prendre l’eau dans ce champ de navets en attendant je ne sais trop quoi. Ce qu’ils me reprochent ? Sans doute beaucoup de choses. En fait, je n’ai jamais vraiment su ce qui avait provoqué les malheureux évènements qui m’ont mis dans un si grand embarras. La seule chose qui me paraît vraiment sûre, c’est qu’au cours de ces dernières années j’ai réussi à me faire pas mal d’ennemis, et cela, surtout au sein de ma propre famille. Il est vrai que depuis le début de l’invasion, les gens de nos provinces ont pour beaucoup perdu le sens des réalités. L’arrivée des troupes ennemies a été pour nous tous tellement surprenante et la défaite de l’armée régulière si rapide, qu’après tout il est un peu normal de voir les abrutis de nos montagnes se prendre pour les sauveurs de la patrie. C’est vrai, je n’aurais sans doute pas dû ouvrir ma gueule. J’aurais dû rester sagement chez moi et ne rien faire de compromettant. Mais qu'est-ce que vous voulez ? On ne se refait pas. J’espère juste que cela aura servi à quelque chose, que je n’en suis pas arrivé là pour rien.
Si c’était à refaire, je crois que je ne changerais rien, je ne regrette pas d’avoir réussi à me faire détester. S’ils supportent d’obéir aux envahisseurs, c’est leur problème, mais moi, je ne vois pas les choses comme ça. J’ai pris des risques, c’est vrai, mais cela vaut mieux que la lâcheté. J’en ai quand même tué quatre cette semaine, ce n’est pas grand-chose, mais c’est déjà ça. Il reste juste à espérer que d’autres suivront mon exemple. Enfin, faut pas rêver, ils sont tout de même bien installés maintenant, le ménage a été fait, la plupart des éléments nuisibles ont à présent été mis hors d’état de nuire. En toute honnêteté, je crois qu’il va falloir encore les supporter pas mal de temps, on n’a pas fini de courber le dos dans la région. Tant mieux pour ceux qui ont le goût de la dénonciation. L’armée ennemie offre paraît-il de bonnes primes, si on n’a pas trop de scrupules ça serait bête de se gêner.
Nous dirons que tout cela est bien malheureux.
Je me demande si l’empereur arrive encore à se regarder dans la glace. Voir son pays occupé par des troupes étrangères, et ne pratiquement pas lever le petit doigt pour s’y opposer, c’est une manière de faire assez curieuse. Il est vrai que nous n’avions pas vraiment les moyens de faire face à une armée de cette importance, mais ce n’était pas une raison pour ne rien faire, ou pour faire si peu. C’est à croire que ça l’arrange de partager le pouvoir. Tout cela est bien étrange. On se fait envahir, on se fait assassiner à tour de bras, tous nos biens sont confisqués par une armée aussi sanguinaire qu’hostile, et l’on apprend que le chef de l’État est parti se reposer dans sa maison de campagne. Il est fatigué, paraît-il, il ne faut pas le déranger. On a été nombreux à trouver ça bizarre, mais de là à se révolter…
Quelques heures passent. Il est maintenant bien tard. Le vent souffle de plus en plus fort, et la pluie s’est transformée en grèle. Du givre commence à se former sur mes vêtements. Plusieurs coups de feu résonnent dans la vallée. Au loin un cheval hennit, et les vaches des fermes environnantes hurlent comme si on ne les avait plus nourries depuis huit jours. La lune, qui depuis plusieurs heures avait disparu, réapparait soudain entre deux nuages. Des aboiements se font entendre assez près de moi. Deux gros chiens s’approchent. Ils me tournent autour durant quelques secondes, me renifflent, mais je ne dois pas les intéresser, car ils s’en vont très vite. C’est un coup de chance, je n’avais rien pour les faire fuire. J’ai cru reconnaître le dogue allemand du chef de la milice, mais je ne suis pas sûr. Si c’était lui, il avait l’air aussi cruel que son maître. Sur le petit chemin de terre que j’aperçois en contrebas cinq ou six paysans portant des armes à feu et des outils couverts de terre boueuse se dépêchent de rentrer chez eux. Il doit être presque minuit, après le travail des champs ils ont dû faire une petite partie de chasse nocturne dans les bois. Il y en a deux qui transportent le cadavre d’un gros animal velu ; un ours probablement. Ils ne me regardent pas, ou font exprès de m’ignorer. Je me dis que si j’étais à leur place j’agirais sans doute de la même façon.
Soudain l’averse de grêle devient plus forte. Quelques gros glaçons s’écrasent sur ma tête, l’un d’eux me blesse au front. Un filet de sang noirâtre coule sur ma joue. La foudre tombe au milieu de la forêt et un grand pin s’embrase comme une torche. Les oiseaux qui l’habitaient s’envolent apeurés et viennent s’abriter dans un grand chêne. J’ai envie d’étrangler ce vieux hibou qui ne cesse de hululer sur son arbre. Je pense à nouveau aux tristes journées qui viennent de s’écouler, et je me dis que de toute façon il fallait bien que cela arrive un jour. Ma mère me l’avait toujours dit : « Toi mon pauvre garçon, tu finiras pendu ».
Un corbeau m’arrache un oeil…







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Isabelle de contes.biz