Les contes pour enfant du monde

les habits de mots





Dans un pays nordique naquit un jour une fillette frileuse. On l’appela Lia. Elle avait toujours froid aux pieds, aux mains, à la tête et au cœur.
Vers sa sixième année, ses parents décidèrent heureusement, pour une raison n’ayant d’ailleurs rien à voir avec elle, de s’installer dans une contrée plus chaude. Lia n’eut plus les pieds, les mains et la tête glacés. Mais frileuse du cœur elle resta.

Un jour où elle relevait comme à l’ordinaire le courrier de la boite à lettre familiale, elle eut en main une enveloppe à son nom. Pas d’adresse, pas de nom de famille ni d’indication d’expéditeur au dos, seulement son prénom de trois lettres en gros caractères. Elle ne savait qui diable pouvait bien lui écrire mais elle s’attendait tout au moins à une lettre, une carte ou un poème, enfin à des mots écrits sous une forme ou une autre…

Mais non ! La feuille dépliée ne révélait que deux traits tracés hâtivement au pinceau noir. Quelle déception ! Car Lia, qui n’entendait surtout que la partie la plus rugueuse de sa langue maternelle, à savoir les « Dépêche toi ! », « Encore tes bêtises ! » et « Quelle maladroite ! » caressait une idée folle : si nul mot doux ne parvenait à ses oreilles pourtant fines et attentives, c’était peut-être que les mots doux s’écrivaient plutôt, préféraient se nicher au creux des pages.

Elle avait donc appris très vite à lire. Les fillettes qui évoluaient dans ses livres lui paraissaient plus gâtées qu’elle. Alors Lia s’était exercée à l’immobilité et à l’absence de relief. Elle avait tenté de se rendre aussi plate et figée qu’une image mais sans grand résultat.

Et voilà maintenant qu’elle détenait ce courrier mystérieux. Mais cette feuille-là parlait chinois, hébreux, latin, ou grec…
Lia se souvint que la maîtresse leur avait parlé de calligraphie chinoise le mois précédent. Elle regarda attentivement les échappées d’encre soufflées et tenta de mimer les gestes supposés les avoir déposé.
Après plusieurs essais sa main prit une sorte d’élan. Alors Lia retourna la feuille et se mit à écrire des mots.
Des mots de toutes les couleurs et de différents timbres
Des mots sérieux ou blagueurs
Des mots gravissant des collines et dévalant des pentes
Des mots qui se reposaient à l’ombre de bosquets
Des mots qui s’éclaboussaient à l’eau glacée des ruisseaux
Des mots à elle et à tout le monde.

A ce rythme, la page fut vite remplie. Quand Lia relu ses phrases, elle se mit à sourire en pensant qu’elle avait finalement bien reçu une lettre de mots doux à elle adressés.
Et de ce jour, Lia n’eut plus jamais froid, puisqu’elle savait, entre lecture et écriture, s’habiller de mots.





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