Les contes pour enfant du monde

LE JASEUR DE BOHEME
Corine demany, 47 ans


Il était une fois l'histoire peu banale d'un bel oiseau original... Celui-ci adorait voler dans le ciel immense, tel le roi de l'univers dans son royaume. Il était doté de tant de grâce et d'élégance qu'il ressemblait à adorable petite fée jouant avec sa baguette.

Il était magnifique dans sa jolie robe argentée et les autres oiseaux admiraient sa prestance. Il était libre et somptueux, et sa belle couleur donnait envie à tous les artistes de le peindre afin de l'immortaliser.

Tous les habitants de la forêt sans exception aimaient l'écouter chanter. Son refrain était en effet divin et sa mélodie, un enchantement.

Par ailleurs, et en toute occasion, on se bousculait pour l'inviter. Sa présence seule suffisait à magnifier une fête : mariages et anniversaires n'étaient que réussites lorsqu'il donnait un récital.

Le beau jaseur de bohème tenait par dessus-tout à son apparence et en particulier à sa coiffure. Sa longue mèche de plumes orangées tirée en arrière le faisait ressembler à une gravure de mode.

Un jour, alors qu'il était invité par monsieur Toucan à une grande représentation, son coiffeur particulier, Monsieur Pie, était très en retard. Ce dernier avait perdu beaucoup trop de temps à bavarder dans les bois voisins avec une cliente. Malgré la colère du bel oiseau, monsieur Pie s'excusa longuement et s'efforça de faire bonne figure. Or, il était jaloux du jaseur de bohème, qui n'était que lumière comparé à lui. Pourtant, bien que fourbe et rusé, il mettait toujours un point d'honneur à le coiffer correctement. Il fit donc installer le jaseur de bohème dans un confortable fauteuil, afin de le mettre à l'aise, et le pria gentiment - et hypocritement - de bien vouloir se calmer. Enfin, il lui promit de le libérer au plus vite de cette mauvaise posture. Il disposa très cérémonieusement une serviette autour du cou du jaseur et comme il était très bavard, se mit à lui conter les derniers potins de la forêt dans l'espoir de le divertir :

"Êtes-vous au courant que monsieur Pic-vert a changé de couleur de plumes depuis quelques jours ? Le brun ne lui vas pas du tout ! Ah ! Mais que voulez-vous ? Il faut bien que mode se fasse !"

Puis, tout en virevoltant avec son immense paire de ciseaux autour de la tête de son client, il déclara :

"Savez-vous que Madame Cigogne a arrêté de fumer ? La pauvre femme est énervée du matin au soir ! Elle est déjà si anxieuse de nature... Le tabac est une sournoise dépendance, je lui tire mon chapeau et lui souhaite courage !"

Le jaseur de bohème n'écoutait que d'une oreille ce que la pie lui racontait. Il avait passé une nuit épouvantable et n'avait presque pas dormi. Il était très fatigué, et, la chaleur aidant, il s'assoupit un instant. Bref, lorsqu'il baissa la tête, la pie, tout en riant sous cape, en profita pour lui couper net sa magnifique mèche. Il s'exclama, tout en levant les pattes au ciel :

"Grand Dieu ! Qu'ai-je fait ?"

Ah ! Quel comédien, celui-là... Le beau jaseur de bohème se réveilla brusquement et regarda le reflet de son image dans le miroir. Catastrophe ! Sa jolie mèche n'était plus qu'un misérable épi ! Il se mit à rougir de honte devant l'ampleur des dégâts et dut retenir ses larmes tant il avait envie de pleurer. Monsieur Pie faisait semblant d'être désolé par l'incident en étreignant l'oiseau par les épaules. La tête courbée, il dit :

"Je ne comprend pas ce qui s'est passé... C'est une regrettable erreur de ma part, j'en suis tout retourné ! Je tenais votre mèche du bout des pattes lorsque votre tête s'est affaissée... Quelle histoire ! Peut-être devriez-vous annuler votre récital de ce soir..."

Ensuite, il continua de couper les plumes qui restaient sur la petite tête déconfite du jaseur et prit un malin plaisir à le torturer ainsi devant la glace :

"Finalement, cela ne vous va pas si mal !" dit-il en riant intérieurement.

Le coiffeur se confondit en excuses, puis il mit de la laque pour achever de l'humilier. Le pauvre oiseau ne savait plus comment faire pour ne pas entrer dans une colère incontrôlable. Le médecin lui avait fortement déconseillé, l'après-midi même, de s'énerver car son coeur était fragile. Aussi, dit-il simplement à la pie :

"Je suis profondément déçu et vos excuses ne pourront rien y faire. Bien évidemment, vous me perdez comme client. De plus, je voulais vous recommander à quelques riches célébrités de la forêt, mais hélas, ce sera tout le contraire ! Je ne vous dis pas merci mais adieu, monsieur !"

Puis, sans se retourner, il s'envola.

Le soir venu, tout en admirant le coucher du soleil, le jaseur de bohème se demanda s'il aurait assez de courage pour participer à l'évènement. Le ciel était sublime et lui disait à l'oreille d'y aller. Il lui susurrait en soufflant:

"Va, mon bel oiseau, car tu es de loin le plus beau... Peu importent les apparences, seul ton coeur guide la danse..."

Alors, n'écoutant que son courage, l'oiseau prit son envol pour arriver chez monsieur Toucan en souriant. L'oiseau au gros bec fut un peu surpris de voir le jaseur ainsi coiffé, mais il s'empressa de lui dire combien il le trouvait ravissant. Il l'entraîna par l'aile afin de le présenter à ses invités. Ensuite, le jaseur se mit à chanter et tout le monde fut sous son charme.

A la fin du concert, jus de fruits et douceurs furent offerts. Bref, tout se passa merveilleusement bien et vint trop vite le moment de se dire adieu.

Au bout de six mois à peine, la célèbre mèche du bel oiseau avait enfin repoussé. De plus, elle était encore plus belle car elle s'était épaissie.

Le jaseur de bohème avait eu tout le temps nécessaire pour réfléchir aux parole qu'il avaient prononcées à l'encontre de Monsieur Pie. En fait, il n'y pensait plus et lui avait pardonné son geste. Il voulut alors le lui dire de vive voix.

Un jour, alors qu'il se promenait dans la forêt en compagnie de monsieur Toucan, il rencontra par hasard monsieur Pie. Comme le hasard fait bien les choses, il s'empressa de lui serrer chaleureusement la patte et, par la même occasion, de le recommander vivement à son ami monsieur Toucan.

La pie, stupéfaite devant tant de gentillesse, changea immédiatement d'opinion sur le jaseur de bohème qu'elle regarda désormais d'un autre oeil.

A compter de ce jour, Monsieur Pie fit d'énormes efforts pour ne plus jalouser le bel oiseau. Il devint même l'un de ses meilleurs amis...

corine.demany@sfr.fr



Conte imprimé sur http://www.contes.biz